Khaled Miloudi a 60 ans. Actuellement en semi-liberté entre le dedans de la prison de la Santé et le dehors du monde d’après, il termine une « longue peine » pour une série de braquages dans un passé lointain. En prison, son goût pour les mots l’a sauvé. Nombre de ses textes ont été présentés et publiés. Récompensé par le prix Blaise Cendrars en 2016, il prépare aujourd’hui sa sortie prochaine, en finalisant notamment un recueil de ses écrits poétiques.
Khaled a décidé de se raconter, de laisser libre court à sa plume dans une chronique hebdomadaire.
Fumigène est heureux d’accueillir ses mots.
Hier après-midi, allongé sur la pelouse synthétique du stade, entre deux exercices de yoga, j’ai levé les yeux sur un ciel orangé. Et au seuil de l’instant, je me suis revu à la sortie de l’école, en compagnie de Claudine.
Nous prenions la direction de la clairière, traversée par un cours d’eau qui serpentait comme un chemin de montagne, où nous avions pris nos quartiers, après l’école.
C’est sur un tapis d’herbe grasse, de bleuets, de pâquerettes… que l’on s’allongeait côte à côte, les paumes serrées, les doigts entrelacés, après avoir partagé nos premiers ardents et fougueux baisers, nos première timides et maladroites caresses.
Le cœur battant, les yeux rivés au ciel, je commençais toujours mes phrases par : « quand je serai grand… », et lorsqu’un avion traversait le ciel azur, laissant derrière lui une longue traîne blanche immaculée comme un serpentin, nous nous rêvions adultes, volant, planant vers une île paradisiaque aux lagunes chatoyantes lors de notre lune de miel !
Elle était douce, et belle Claudine avec ses tresses d’Indienne, et lorsque j’accrochais, parfois un bouton-d’or, parfois un coquelicot sur ses nattes en lui chuchotant au creux de l’oreille qu’elle était : « ma petite fleur des bois… », « la plus belle des fleurs des bois ! », elle rosissait de bonheur et je lui promettais de veiller sur elle, à l’école, comme Cochise sur sa promise.
La nuit, je rêvais souvent de mon Indienne pour qui j’allais chasser l’ours dans la forêt, d’un pas agile et feutré, un arc à bout de bras et quelques fléchettes à ventouse dans mon carquois. Ma témérité n’avait d’égal que mon fol émoi.
Et me revient ma bicyclette, ma première bicyclette rouge, comme la robe de Claudine qui bougeait dans le vent, et avec laquelle j’allais chercher le lait, à la ferme située à la sortie de la ville.
Sur le trajet, nos mains, je me souviens, comme nos bicyclettes – la sienne était bleue – s’aimantaient et batifolaient tout le long du trajet.
Un rouge et bleu qui colorait de lumière les nuages noirs qui s’amoncelaient, menaçants, au-dessus de ma tête, au-dessus de ma vie…
Photo : Maxwell Aurelien James