Lyrics Fumigene Team – Photo NnoMan
En l’espace d’un an Adama Traoré est devenu -malgré lui- le nouvel emblème de la lutte contre les violences policières en France. Encore aujourd’hui relegué par les politiques au rang de fait divers, le décès du jeune homme de 24 ans après son interpellation illustre parfaitement le caractère systémique des violences que subissent les populations issues de l’immigration africaine et nord-africaine. Violences physiques d’une part, de par les brutalités policières exercées sur elles, et violences symboliques et morales d’autre part, de par le déni de justice, les mensonges maintes fois prononcés par les représentants de l’état et relayés par certains médias.
Il n’aura fallu que quelques heures pour que le destin de la famille Traoré bascule de l’anonymat à la lumière crue des caméras des chaînes d’informations en continu. Le 19 juillet 2016, Adama Traoré et son frère Bagui se voient contrôlés, à Beaumont-sur-Oise, par des gendarmes qui comptaient interpeller son aîné. Sans papiers sur lui et craignant de passer la nuit au poste, Adama Traoré prend la fuite.
Très vite rattrapé par les gendarmes, le jeune homme est malmené et plaqué au sol par trois gendarmes qui finissent par l’acheminer à la gendarmerie de Persan.Pendant le trajet, Adama Traoré est en état critique et fait même un malaise dans le véhicule. À l’arrivée à la gendarmerie, le jeune de 24 ans est positionné face contre terre, inconscient. Les sapeurs-pompiers, appelés en renfort, retrouvent Adama Traoré à plat ventre, menotté dans le dos, alors que les gendarmes avaient certifié l’avoir placé en Position Latérale de Sécurité.
Le décès est finalement constaté par le SAMU à 19h05, près d’une heure et demie après l’interpellation d’Adama Traoré. Devant le manque de communication de la gendarmerie, c’est tout le quartier de Boyenval (où vivait Adama) qui s’embrase avec l’annonce de la nouvelle. Face à l’incompréhension générale incarnée par la personne d’Assa Traoré (la soeur du défunt), se dresse la figure du Procureur de la République de Pontoise, Yves Jannier qui n’hésitera pas à évoquer la thèse de l’infection respiratoire pour expliquer la mort du Beaumontois. Une hypothèse injustifiée, aux vues des conclusions des deux autopsies, et démentie par une contre expertise datée du 22 juin dernier. Durant cette année de lutte judiciaire et politique, Assa Traoré n’a eu de cesse d’encaisser les attaques : qu’elles viennent de Nathalie Groux, maire de Beaumont-sur-Oise qui voulait la poursuivre en justice aux frais du contribuable pour diffamation, ou de certaines voix médiatiques qui se sont empressées de dévoiler les précédents démêlés d’Adama avec la justice.Malgré l’arrestation et l’incarcération successive de ses frères Bagui- pour avoir manifesté sa colère les soir du 19 juillet et lors du conseil municipal du 17 novembre- et Youssouf-depuis libéré- Assa Traoré a démontré une force insubmersible et porté haut la voix de son frère des couloirs du palais de justice de Pontoise, aux plateaux de télévisions. Assa Traoré est devenue la voix de sa famille, de Boyenval, mais a aussi donné une nouvelle visibilité aux nombreuses familles de victimes de violences policières.
Peu à peu l’affaire Adama Traoré devient un sujet de discussion chez beaucoup d’intellectuels français qui prennent publiquement position, à la manière d’Edouard Louis, Eric Fassin ou de Geoffroy de Lagasnerie, qui militent pour que justice soit faite. Par la voix des artistes, des militants et des citoyens mobilisés, Adama Traoré devient l’autre nom des violences policières en France toujours en état d’urgence. Pourtant, alors que les affaires s’accumulent, ce débat sur la police n’a pas trouvé d’écho lors de la campagne présidentielle. A la fin de son mandat, François Hollande s’était d’ailleurs distingué par un silence sourd après les injonctions formulées par Assa Traoré à son égard à de multiples reprises.
Comme on dit dans la police : « circulez, y’a rien à voir ».
Pour en savoir plus sur le combat de la famille Traoré, nous vous recommandons le livre » Lettre à Adama » d’Assa Traoré et Elsa Vigoureux (Ed. Seuil)