Lyrics et photos Yanis Graine
« Nous devons accueillir des réfugié.e.s car c’est notre tradition et notre honneur ».
Ce sont les mots d’Emmanuel Macron, le 23 juin, au sujet des réfugié.e.s et de leur accueil en France. Pourtant, le 7 juillet 2017, une opération conjointe de la police et des services d’hygiène de Paris visait à évacuer le camp de réfugié.e.s de la Porte de la Chapelle à Paris. Sans doute un des camps les plus emblématiques avec ceux de Calais ou de Grande Synthe. Très tôt ce matin-là, loin des yeux et des oreilles des Parisien.ne.s (mais cependant, il en convient, face caméras), des tentes et des bâches sont arrachées. De jeunes hommes sont emmenés dans des bus dont on ne connaît pas précisément la destination finale. Des policiers sont hilares. Un autre confie avoir honte à une militante.
Bref : la plus pure tradition Française depuis plus de trente ans.
Quelques jours seulement après cette énième opération, pendant laquelle près de 2800 personnes ont été évacuées il ne reste qu’un arrière-goût amer de coup de com’. Plus une seule caméra. Plus un seul appareil photo. Et pourtant, déjà, de nouvelles tentes et de nouvelles bâches. Certains de ces hommes, qui ne sont pas plus d’une centaine, étaient déjà là avant le 7 juillet, mais avaient refusé tout embarquement vers un autre centre, un autre camp. La majorité cependant, des Soudanais, des Erythréens, des Ivoiriens… ne sont arrivés qu’il y a quatre jours.
Parmi eux, on reconnaît des visages fatigués par un militantisme au quotidien. Fati revient du Décathlon du coin, avec des tentes et des duvets. Elle s’occupe des réfugié.e.s depuis l’époque du camp de Stalingrad. Après avoir installé un camp à La Plaine qui avait duré un mois et demi, elle a décidé d’aider les hommes rejetés à l’entrée du centre d’hébergement de La Chapelle. « Ils sont arrivés dans la nuit de lundi, fatigués, affamés, les pauvres. Il faut bien quelqu’un.e pour les accueillir. » Fati n’est d’aucune association. Elle a tissé des liens avec des militant.e.s d’ici et de là, qui parfois comme elle sont sur le camp au quotidien. Elle ne croît pas spécialement en ces assos qui ne viennent qu’au moment des évacuations, ou lors du ramadan. « Comme s’ils n’avaient faim que pendant le Jeûne, tu sais ? » Alors Fati passe entre les jeunes hommes, leur demande de quoi ils ont besoin qu’ils ne peuvent se procurer par eux-mêmes. Elle ne veut pas les infantiliser. « Ils ont vécu des choses terribles. C’est pas moi qui vais leur apprendre la vie. »
La situation précaire du lieu n’a pas évolué. Des hommes peinent à s’endormir entre les énormes blocs de roche que la mairie avait déposés pour les empêcher de revenir. En vain. Ce ne sont pas ces pierres qui arrêteront les guerres qui les font fuir. A cela, il faut ajouter le vacarme des voitures qui passent, le périph’ tout proche, et les trams qui les frôlent, et tous ces bruits ensemble qui résonnent sur les parois du pont abandonné qui leur sert de toit. On fait sécher des vêtements au soleil, accrochés aux branches des arbres et aux grillages du coin. Un homme se lave les jambes avec de grandes bouteilles d’eau. Dans cette misère, rares sont ceux qui se laissent photographier. Car à la honte s’ajoute la peur. La peur de représailles, notamment, si les clichés tombaient entre de mauvaises mains. Mais l’on croise cependant des Ivoiriens, qui nous parlent en français. Ils nous racontent leur histoire. Le départ. La traversée de la Méditerranée. Leurs ami.e.s qu’ils voient mourir. Et l’Italie qui ne veut pas d’eux. L’un d’eux, Didier, nous dit : « Tu sais, on a beau dormir dehors, par-terre, la France c’est bien mieux que l’Italie ». Il nous explique que là-bas, il n’y a personne pour prêter attention à eux. Qu’au racisme se mêle l’indifférence, et que beaucoup de ses ami.e.s se sont suicidé.e.s dans la détresse et l’isolement. Didier a choisi de marcher jusqu’à Paris, et après avoir demandé l’asile lorsqu’il était à Stalingrad, il a tenté d’obtenir une place dans le centre d’hébergement vide. « Ici, des gen.te.s s’arrêtent. Nous demandent si on a besoin de quelque chose. Si j’ai mal à la tête, on me donnera un médicament. »
Car s’il est vrai que l’Etat n’en a que faire des réfugié.e.s, des solidarités locales ne cessent de se construire depuis l’été 2015. Quelques jours avant l’évacuation du 7 juillet 2017, déjà, un rassemblement « Voice of Refugees » avait permis aux réfugié.e.s de s’exprimer librement. Un grand mur avait été investi, peint, tagué dans plusieurs langues, pour montrer quelles étaient les réalités auxquelles les réfugié.e.s faisaient face. Aujourd’hui encore, de nouvelles solidarités se font. La Brigade Anti-Négrophobie s’est déplacée après qu’il ait été constaté que les Soudanais.e.s ou les Ivoirien.ne.s (sous prétexte qu’il ne se passe « rien » en Côte d’Ivoire) sont laissé.e.s à l’abandon et refoulé.e.s systématiquement. D’autres militant.e.s, syndicalistes, militant.es des quartiers populaires, préparent un événement sur le camp. Il sera question d’autonomie et d’autogestion des réfugié.e.s afin de s’organiser massivement et politiquement contre les mesures prises à leur encontre.
Somme toute, pas grand chose n’a changé à La Chapelle.