Lyrics Eros Sana – Photo Eros Sana & Nnoman
Après les attentats de janvier dernier, le monde entier a eu les yeux rivés sur la France. Islam, radicalisation, quartiers difficiles, tous les médias et observateurs cherchaient des réponses à l’impensable. Fox News, la très droitière chaine d’information américaine, avait son analyse : La Goutte d’Or, Belleville, Ménilmontant. Des « No-Go Zone ». Des quartiers de non droit où les non musulmans ne peuvent plus mettre les pieds. Polémique, plainte de la maire de Paris, excuses publiques de la direction de la chaine… Trop tard. Le stigmate est puissant. Plongée dans Barbès. Une des No-Go Zone. Avec ses habitants.
Des « zones interdites », c’est ainsi que la chaîne d’informations américaine Fox News qualifiait huit quartiers de Paris, qui incluaient les zones autour de Père Lachaise, Magenta, Porte la Chapelle, Belleville ou Barbès. Ces no-go zones, en anglais, sont supposées être des zones « similaires à l’Afghanistan, l’Irak ou le Cachemire », des sortes de territoires perdus de la République où des personnes se promènent avec des t-shirts à l’effigie d’Oussama Ben Laden, où règnent la Charia et où les Blancs ne peuvent rentrer. Really? Nous nous sommes donc décidés à parcourir l’une d’entre elles et d’y rencontrer celles et ceux qui font si peur aux journalistes de l’Oncle Sam.
En plein coeur de Barbès, à la Goutte d’or. Ce quartier est comme un petit village, tout le monde connait tout le monde et nombreux sont celles et ceux qui font preuve d’entraide, de solidarité et d’inventivité dans le quotidien. Le nom de la Goutte d’or viendrait du temps où Paris était une ville viticole qui produisait du vin: ce quartier était réputé pour son vin blanc aux reflets dorés. Un peu pour rendre hommage à cette époque, en plein milieu du quartier, trône la Brasserie de la Goutte d’or (BGO). C’est la première brasserie artisanale de Paris. On y brasse avec passion et amour plusieurs bières au nom aussi insolites que Château rouge, Myrha, Charonière, Enerstine et… No Go. « Nous voulions réagir à cette caricature pondue par Fox News, nous lance Antoine, vingt ans, apprenti à la BGO, nous refusions que notre quartier soit ainsi stigmatisé. Nous avons donc créé cette bière dont nous avons d’ailleurs envoyé un exemplaire aux journalistes américains.Ici on vit tous ensemble, les uns avec les autres. »
A quelques pas de ce brasseur révolté, se dresse avec fierté l’une des institutions du quartier au même nom : la Brasserie de la Goutte d’or. Ce café-restaurant a
été longtemps tenu par Yvonne. «C’était la tata de tout le monde, nous dit avec émotion, Karim, son petit-fils, une femme de poignes qui ouvrait son café et son cœur à tout le monde. Elle aidait les gens à remplir leurs papiers, elle les orientait administrativement. Elle jouait un vrai rôle social dans le quartier.» Karim a repris le café un peu avant sa mort, en 2009. Il essaye de maintenir le flambeau de sa grand-mère, au-delà des préjugés que peuvent subir la Goutte d’or et ses habitants. «Je suis né ici, j’ai grandi ici et je travaille, ici. Certes, tout n’est pas rose et nous avons notre lot de problèmes sociaux et de petite délinquance et d’incivilités. Mais ce quartier je l’aime. Ici, quand mes clients me paient, ils me donnent plus qu’un billet et je leur donne plus qu’un service. » Il est attaché au caractère populaire et métissé du territoire où il vit. Il regrette d’ailleurs que les politiques actuelles de «rénovation» ne consistent qu’à faire venir des gens riches qui « achètent surtout dans l’idée de faire une plus-value, habitent dans le quartier, mais n’y vivent pas et revendent au plus vite leur logement.» Karim peut d’ailleurs bien faire la comparaison, lui le «titi parisien» de Barbès, restaurateur de profession, car il est aussi éducateur sportif durant ses soirées et ses week-ends, il est coach d’une équipe minime du 16ème arrondissement. Il aime ainsi « casser les clichés », démontrer aux dirigeants de son club de quartier privilégié que les habitants des quartiers populaires ont tant à offrir. «Notre quartier est riche de tellement de talents »rajoute-t-il, enthousiaste.
On ne le lui fait pas dire : Barbès abrite d’autres talents, telle que Sakina M’sa, venue de Marseille, cette créatrice de mode, pleine d’énergie et de gentillesse a décidé de s’installer à la Goutte d’or, car c’est un « atelier de création de tissu social». C’est aussi une entreprise d’insertion où en plus de deux ateliers en insertion, elle emploie quatre autres personnes. Loin d’être un handicap – elle accumule les prix et distinctions (prix de la Fondation de France, Prix Femina, Talent des cités), ce « quartier m’inspire ! Le bruit et l’odeur que dénonçait ici-même Jacques Chirac, ça me construit. Les gens d’ici, avec leur complexité et parfois leur brutalité, me font créer des choses, Barbès est mon premier podium. » En plus de ses collections locales qui défilent lors des Fashion Week, elle a créé avec succès des sapes arborant fièrement les punchlines « Goutte d’or, j’adore » et « Barbès, Mon Amour », que les stars s’arrachent. Les habitants du quartier le lui rendent bien, de la mamie retraitée, à la jeune femme hyperactive, en passant par les jeunes du quartier, tous passent le pas de la porte pour demander et offrir plus qu’une relation autour des vêtements.
Sakina n’est pas la seule à tisser du lien social dans le quartier. Sylvain Lopéra a le physique et l’énergie d’un boxeur catégorie walter. Mais son physique est trompeur quant à son travail. Depuis près de dix ans, il exerce dans l’une des principales associations locales : ADOS, Association pour le Dialogue et l’Orientation Scolaire. Il a une «fibre pour travailler avec les gens et pour les gens. Ici , on apporte à la fois de l’accompagnement extra-scolaire, des ateliers de danse, des sorties culturelles comme un cross annuel réunissant quatre cents enfants. » Avec une certaine gouaille, il parle avec passion de sa vocation, qui consiste notamment « à casser les clichés sur un quartier ghetto, un quartier où l’on verrait des moudjahidins, comme Fox News, pardon Fucks News, est entrain de le dire en ce moment.» Pour lui, c’est un « quartier où l’on vit, où ça bouge, où l’on mange ce que l’on veut, jambon ou pas. » Sylvain reconnaît les difficultés auxquelles le quartier est confronté, qui vont de la pauvreté, à la petite délinquance, en passant par les effets néfastes des changements dus à « la gentrification et l’arrivée de bobos dans le quartier.»
Salem, lui, ne se plaint pas de cette arrivée des bobos. Pour ce jeune restaurateur de vingt ans qui est né et a grandi à Barbès, les bobos et les touristes représentent une clientèle qu’il compte capter en ouvrant une «pizzeria classe, où les gens peuvent venir en famille et qui serait le contrepied des kebabs et des taxiphones.» La petite délinquance le gêne, surtout parce qu’elle entraine souvent des réactions disproportionnées des policiers qui nuisent au commerce.
Lisa, la trentaine, mère de trois enfants, cliente régulière de Salem, reproche aux autorités publiques d’être en grande partie responsables de l’insécurité dans le quartier. «Il faut un cadre pour éviter que les jeunes trainent dehors et soient entrainés dans des trafics. Si j’avais des sous, j’ouvrirais un endroit pour que les gosses jouent et ne soient pas dehors. »
Ce constat, trois jeunes adultes le partagent également. Ils sont attablés à un bar en grande discussion. Bakary, la plus grande gueule, affirme que ce « quartier c’est une mine d’or ! Il y a tellement de vie, de communautés et d’ambiances qui se croisent et échangent. On dirait que ce modèle ne plait pas à certains dirigeants politiques. Soit ils adoptent une politique du laisser-aller et ils font en sorte que la situation sécuritaire pourrisse et utilisent ensuite le tout répressif contre tout le monde, de façon aveugle; soit ils font en sorte de se contenter d’importer de la richesse en faisant venir des gens qui ne sont pas du 18ème, plutôt qu’aider à ce que ses habitants aient de meilleurs revenus, un meilleur boulot. Nous, ce que l’on veut, conclut-il, c’est pas que l’on vienne nous juger parce qu’on est des pauvres, ou parce que l’on est de telle ou telle origine, nous ce que l’on veut c’est qu’on nous laisse tranquille, ce que l’on veut c’est pouvoir réussir nos vies, trouver un travail, vivre.»
Ces mots trouvent un étrange écho aux mots qu’Emile Zola place dans la bouche de son héroïne Gervaise Macquart dans L’Assommoir : « Mon idéal, ce serait de travailler tranquille, de manger toujours du pain, d’avoir un trou un peu propre pour dormir. » Zola a écrit ces mots au 19ème siècle. L’action se déroulait à la Goutte d’or. Il l’a écrit pour casser les stéréotypes sur la classe ouvrière. A sa sortie, il suscita une forte polémique. A l’époque déjà, les clichés avaient la vie dure. Depuis, la Maire de Paris a officiellement porté plainte contre Fox News, qui a présenté ses excuses. Une brasserie plus que trendy, équipée d’un très chic roof top, au nom du quartier, vient d’ouvrir ses portes. Pas loin du cinéma Le Louxor, qui joue dans la même catégorie. Un groupe de potes a monté les No Go Zone Tour, et propose une ballade commentée dans ces quartiers stigmatisés. Et les habitants des No Go continuent de rouler leurs bosses.
Circulez, y’a tout à voir.

Rudnes, seacker’s addict

Mariama et Sadia, éducateurs populaires