Ils occupent les bureaux de la présidence de l’université de Nanterre depuis maintenant deux mois. Ils sont déterminés et ne partiront pas avant la victoire. Les étudiants de l’UNEF-TACLE de l’université de Nanterre, les Sans-Fac, et des soutiens extérieurs, tiennent leur mobilisation et un véritable rapport de force face à une direction qui semble regarder ailleurs.

Lyrics et Photos : NnoMan

Depuis sa création en 2018, les critiques sont nombreuses à l’encontre de la plateforme ministérielle Parcoursup et la sélection à l’université.

Pour Victor, Roxane, Ayoub, et tous les occupants ; l’occupation actuelle est la conséquence directe de la sélection sociale à l’université. « L’exclusion se fait soi-disant sur des critères pédagogiques, soi-disant sur des jeunes qui n’ont pas le niveau, mais en vérité, dans les faits, ce sont principalement des jeunes issus des quartiers populaires et de l’immigration qui se font recaler, et c’est pour ça qu’on parle de sélection sociale. Elle s’abat toujours sur les mêmes, sur ceux à qui on demande de payer la crise, sur ceux à qui on demande de se serrer la ceinture, les enfants de travailleurs, les enfants d’immigrés. » explique Victor, révolté.

Photo d’archive – Octobre 2019 : Occupation des bureaux de la Présidence de la fac de Nanterre par les Sans-Fac.

L’interview se fait à distance, la plupart des occupants ne quittent plus le bâtiment depuis leur arrivée le 27 octobre. Au moment où on discute, le 20 décembre 2021, la présidence de l’université, en vacances, vient de couper l’électricité et le chauffage dans le bâtiment occupé.

« Ils sont dos au mur parce qu’ils savent qu’on ne va pas sortir, ils comptent sur les fêtes pour nous décourager et nous faire partir. » Tous sont unanimes, la coupure de courant et donc du chauffage, est l’ultime moyen trouvé par la présidence pour les faire partir sans recourir à la force policière. L’usage de la force nuirait à l’image de la nouvelle présidence.

Cette année encore, les étudiants du syndicat UNEF-TACLE se mobilisent avec les Sans-fac, pour que la direction inscrive ces derniers. Parmi les dossiers, des recalés post-bac mais également des étudiants sans master.

Les négociations ont commencé à l’été 2021. Les syndicalistes étudiants adressent alors à la direction des dizaines de dossiers. Pour l’UNEF-TACLE, la direction n’a pas accepté assez de dossiers en souffrance. « On estime que parmi l’ensemble des jeunes qui ont déposé des voeux sur Parcoursup, environ 280 000 jeunes ont soit abandonné, soit n’ont pas accepté les propositions qu’ils ont reçu, (car ne leur correspondait pas) , soit n’ont eu aucune proposition  » explique Victor, militant à l’UNEF-TACLE.

« Tous les ans c’est plus difficile. On a de plus en plus de jeunes qui veulent s’inscrire. Le nombre d’étudiants augmente mais le budget reste le même. Il faut qu’on mette en place un rapport de force de plus en plus grand » pour ne pas laisser tous les ans, plus de jeunes sans affectation.

Victor et ses camarades ont conscience que leur lutte va bien au-delà de Nanterre. « Avec ce combat, on pose le problème du manque de moyens à l’université, le problème des capacités d’accueil. En fait, on pose une question simple : comment se fait-il qu’il n’y ait pas assez de moyens pour respecter un droit aussi basique, aussi inaliénable que celui d’étudier ? »

Décembre 2021 : Discussion entre occupant.es.

Pour Roxane, il n’y avait pas d’autre choix que celui d’intensifier le rapport de force. « Il nous restait 61 dossiers à traiter quand la fac a décidé d’arrêter les négociations ». Avant l’occupation, elle a aussi participé à une série d’actions : rassemblements, prises de parole en public, etc. « mais quand la présidence a fermé les négociations, on n’avait plus le choix ». À propos du chauffage, Roxane sourit : « on s’organise, de toute façon, nos inscriptions on les veut à mort ! Pour tenir on a eu plein de soutien et on reçoit de la nourriture par une corde depuis en bas », ajoute-elle, « moralement c’est super puissant, on a une vraie force collective ».

Pour Julia, c’est une évidence d’être là. « On sait pourquoi on fait ça et on sait pourquoi on va aller jusqu’au bout. Quand on voit l’arrogance et le côté narquois de la présidence … mais là, on a montré notre détermination au niveau national »

Il suffit d’évoquer la journée d’action des soutiens, qui ont pu entrer à soixante et onze, face à une équipe de vigiles extrêmement zélés, pour voir à quel point ça a été important pour le moral des occupants.

Ce jour là, début décembre, 71 soutiens montent sur le toit par une échelle, devant des vigiles agressifs. Les soutiens arriveront finalement à entrer dans le bâtiments.

À l’intérieur, les jours se suivent et se ressemblent, mais le planning de chacune et chacun est serré. « On se lève très tôt, on a le petit déj à 7h-7h30, une équipe doit écrire les nouveaux protocoles, on fait des points réguliers, on fait des assemblées générales, on prépare les rendez-vous et entretiens avec la présidence … Tous les jours on fait le ménage, on doit se structurer pour que ça reste durable et pas se faire dégager sur des critères d’hygiène » détaillent Julia et Roxane. Il n’est pas question de permettre à la présidence de trouver un prétexte sanitaire pour évacuer les occupants.


Bebeto est sans-fac, plus précisément, il est comme des milliers d’autres en France, un étudiant sans master. Diplômé d’une licence, il a vu sa demande d’inscription en master refusée. Bebeto est étudiant étranger. Il est donc obligé, pour le renouvellement de son titre de séjour, de prouver à la préfecture, une progression dans ses études.

D’un côté, l’université lui refuse son inscription en master, de l’autre, la préfecture lui demande son attestation scolaire, faute de quoi, il risque une OQTF (Obligation de Quitter le Territoire Français). Devant l’insistance de la préfecture, il est contraint d’accepter le seul choix que l’université lui propose, si aberrant soit-il : recommencer une Licence, en première année, malgré son Bac+3. Il se rend donc à la préfecture pour prouver de son affectation à l’université. Il s’oppose alors à un refus, car pour le renouvellement de son titre de séjour, Bebeto ne peut pas régresser scolairement. Actuellement sans master et sans-papiers, il occupe le bâtiment de la présidence.


Jérémie aussi est étudiant sans master.

Après avoir validé sa licence à Nanterre en 2019, il décide de faire une pause d’un an, pour faire un service civique. Après ces quelques mois actifs, il souhaite, comme prévu initialement, s’inscrire en master pour la rentrée 2020. Son inscription est refusée, Jérémie se retrouve alors sans affectation pendant une année scolaire. A la rentrée 2021, persuadé de pouvoir enfin s’inscrire, il se voit recalé une seconde fois. C’est à ce moment qu’il réalise, à travers le #EtudiantSansMaster, qu’il n’est pas seul. Il se rapproche alors des syndicalistes de l’UNEF-TACLE dans l’espoir de voir son dossier ré-examiné par la direction de la faculté.

Après plusieurs actions, il fait partie des occupants du bâtiment de la présidence depuis le début. « On tient le coup même si c’est parfois difficile ». Le soutien de sa famille qui ne veut pas qu’il lâche, et la présence de sa sœur, qui passe en bas du bâtiment lui déposer du linge propre, le renforce davantage dans ce combat. « Ma famille sait que c’est pour mon futur, ils ne veulent pas que je laisse tomber, ils savent que c’est très important ».

Il ignore si son année de coupure le pénalise mais il reste amer quant aux conséquences de ce service civique, dispositif pourtant reconnu. « Paradoxalement mon service civique ne m’a pas aidé, ça m’a plombé. On nous dit que ça valorise notre CV et au final j’ai l’impression que ça me dévalorise. »


Au bout de 46 jours d’occupation, les occupants écrivent un protocole de fin de conflit. Dans ce protocole, ils proposent de lever l’occupation contre l’inscription de 23 sans-fac, et de négocier les dossiers restants ensuite, après l’occupation.

La présidence ne répond pas à cette proposition de fin de conflit et se défend en avançant le fait que les dossiers sont refusés par les commissions pédagogiques (réunissant les enseignants responsables des filières). Cet argument est en partie vrai, reconnaît Victor : « Il y a des profs qui sont favorables à la sélection ».

Au bout de 60 jours, nouvelle proposition de la part des occupants : si l’université inscrit 21 sans-Fac, l’occupation sera levée. Les occupants y ajoutent des engagements, notamment celui de ne pas ré-occuper un bâtiment de la fac pour cette lutte pendant l’année scolaire en cours.

Victoire, étudiant à Nanterre, militant à UNEF-TACLE lors d’une prise de parole dans le bâtiment occupé. Décembre 2021

Parmi les occupants, on croise Laura, militante UNEF au Mans. Pour elle, la situation de Nanterre est un exemple de ce qui se généralise dans toute la France. Le problème c’est la sélection, le manque de moyens, la fermeture de cours et la hausse des frais d’inscription pour les étudiants étrangers. « On ne peut pas se battre contre la sélection si on est éparpillé. Ce n’est pas juste une bataille locale. Si on gagne à Nanterre, ça va donner confiance à tous les étudiants pour la suite »

Dans le bâtiment, parmi les jeunes visages, on rencontre aussi des salariés, qui soutiennent la lutte. Plusieurs postiers des Hauts-de-Seine sont présents aux côtés des étudiants. Cette alliance, cette amitié date de plusieurs années.

« C’était naturel pour nous d’être là. On pense que la victoire des sans-fac de Nanterre est fondamentale. Nous à la Poste dans les Hauts-de-Seine, en 2019, on a mené une grève de 15 mois très difficile, mais victorieuse. Sans l’apport des étudiants de Nanterre, on n’aurait pas gagné. On leur doit cette victoire-là. » explique Xavier, délégué Sud Poste 92, qui enchaîne : « … mais la raison de fond, c’est que cette bagarre est fondamentale. C’est une forme de stratégie qu’il faut comprendre. On est dans le lieu de pouvoir de l’université. Rappelons que c’est l’occupation de ce bâtiment qui a servi de détonateur pour la grève générale de Mai 68. »

Photo d’archive – Avril 2019 : Salarié.es et étudiant.es (dont des occupants) en manifestation, ensemble.
Photo d’archive – Janvier 2019 : Pendant une occupation du siège de la Banque postale, des étudiant.es de Nanterre étaient aux cotés des postier.es en grève.

Pour Xavier, ce qui est important c’est de viser le pouvoir, tout en s’adressant au plus grand nombre. « C’est la base de la lutte, de se battre pour changer les choses autour de soi, mais si on veut gagner aujourd’hui, dans un système capitaliste complètement détraqué, on doit se tourner vers tous les autres. Une victoire des sans-fac de Nanterre, ça sera une victoire pour l’ensemble de notre classe sociale, l’ensemble des luttes sociales. Quand on gagnera on fera une grande fête mais dès le lendemain, on repartira sur d’autres bagarres » termine Xavier sous l’approbation de ses jeunes camarades de lutte.

Décembre 2021 : Xavier et Brahim, postiers dans le 92.

Ayoub lui, fait des allers-retours entre l’intérieur et dehors. De cette façon, il vient renforcer l’occupation en mobilisant les étudiants de l’université. Il rentre en amphi et en TD, pour prendre la parole. « Les étudiants sont très attentifs à ce qu’on est en train de faire. Ils savent bien que cette mobilisation les concerne pour la suite. On mène une mobilisation qui permet d’arracher des inscriptions aux sans-fac, mais la présidence a peur que cette mobilisation soit la flamme qui allume la révolte de tous les étudiants ».

Décembre 2021 : Meeting de soutien aux sans-fac.

Pour lui, cette mobilisation est une fierté. « La présidence, en face d’eux, ils ont des sans-fac qui lèvent la tête. C’est impressionnant. C’est une vraie leçon de combativité. À un moment, si on veut se faire respecter et empêcher les plans de ce gouvernement, il va falloir taper fort mais taper ensemble » affirme Ayoub, très déterminé.

Pour lui, « la présidence est cuite » et le fait qu’ils puissent tenir l’occupation, toutes les vacances, seuls dans le bâtiment du pouvoir est un véritable aveu de faiblesse. « Pour le moment, le président ferme les yeux comme un enfant qui ne veut pas voir, mais quand il va rentrer de vacances ça va lui revenir à la figure »

Photo d’archive – Septembre 2019 : Ayoub et ses camarades en manifestation devant le ministère de l’enseignement supérieur.

Ayoub est un habitué des manifestations et des conflits sociaux. Il analyse la situation, persuadé que la présidence a réellement peur que d’une seule chose. « En réalité, ils ont peur que si on gagne, l’ensemble des militants qui ont mené de près ou de loin cette mobilisation, prouvent que la lutte et la mobilisation payent. Le président, Monsieur Gervais-Lambony, ne veut pas lâcher pour ne pas nous permettre d’envoyer un message national. Et c’est toute la logique, cette mobilisation permet de renforcer notre capacité à combattre collectivement la politique de ce gouvernement. »

Décembre 2021 : Les soutiens viennent devant le bâtiment pour monter voir les occupant.es.

Le chauffage et le courant ont été rallumés par la direction de la Fac, après plusieurs jours de coupure. À l’intérieur, les occupants et leurs soutiens s’apprêtent à célébrer le Nouvel An ensemble, dans le bâtiment.

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