Khaled Miloudi a 60 ans. Actuellement en semi-liberté entre le dedans de la prison de la Santé et le dehors du monde d’après, il termine une « longue peine » pour une série de braquages dans un passé lointain. En prison, son goût pour les mots l’a sauvé. Nombre de ses textes ont été présentés et publiés. Récompensé par le prix Blaise Cendrars en 2016, il prépare aujourd’hui sa sortie prochaine, en finalisant notamment un recueil de ses écrits poétiques.
Khaled a décidé de se raconter, de laisser libre court à sa plume dans une chronique hebdomadaire.
Fumigène est heureux d’accueillir ses mots.
Première chronique… Par Khaled Miloudi.
Les mots se sont imposés à moi comme une évidence, et comme Jean Genet ils m’ont sauvé. Cela remonte, vient de très loin… De l’enfance, de l’exil, de la solitude dans la solitude, très tôt, du manque affectif, trop tôt, du rapport père-fils, de la violence…
On peut être exclu par la barrière de la langue. En remontant très loin dans mes souvenirs, je me rappelle les sourires moqueurs et amusés, les commentaires douteux que certaines gens, tenaient ostensiblement sur mon père, à cause de son illettrisme et de son accent arabe prononcé, lorsque ensemble, nous allions courir les magasins, récupérer un document administratif de bureaux en bureaux : véritable chemin de croix pour un analphabète.
Je ne saisissais pas tout à fait le sens de leurs propos. J’avais 7 ans et je maîtrisais mal le Français, mais je devinais, percevais, dans leurs expressions faciales, pleines de défiance, leur mépris pour l’étranger de passage.
Mon père était, certes, illettré, mais pas dupe !
De retour à la maison, il revenait sur le sujet, les yeux vitreux, l’air dépité et m’exhortait, m’encourageait à manier convenablement le verbe.
J’avais mal pour lui, c’était si rare de le voir la mine défaite, lui, l’analphabète blessé par un éclat d’obus en 1944, lui qui avait gagné haut la main et avec une singulière bravoure, sa fierté légitime sur les champs de bataille de Monte-Cassino à Dien-Bien-Phu.
Inconsciemment, à travers son désarroi, je touchais la portée de la rhétorique pour soi et les autres dans la société.
Je me souviens aussi du fil de l’apprentissage de la langue, de la belle langue française pour laquelle j’ai gardé un faible, de mes progrès, des lectures, parfois jusqu’à tard le soir, à l’aide d’une lampe torche pour éviter de réveiller mes frères. Nous dormions à quatre dans la chambre. Souvent, je tombais de sommeil, les yeux brulants, sableux, mais la tête fourmillant de voyages… D’épopées… De romance…
Promesses du bonheur à venir, comme les déclarations d’amour enflammées et les petits billets doux que je glissais discrètement dans la trousse ou le cartable des filles et qui me valaient, quelques francs succès…
Photo : Maxwell Aurelien James