Lyrics Nejwa Mimouni – Photo d’illustration Pitinome
Nejwa Mimouni est professeure d’histoire-géographie à Lille.
Elle nous a contacté et nous avons choisi de publier la lettre bouleversantequ’elle a écrite à ses enfants.D’origine maghrébine, elle s’adresse à ses enfants métis.Un texte indispensable à lire pour comprendre les ressorts duprivilège blanc et la lutte à mener et transmettre contre les toutes les formes de domination.
Mes enfants, mes chéris,
Ces dernières semaines nous ont montrés des images cruelles, effroyables, sur la violence et le racisme d’Etat.
Des scènes qui mettent en lumière le côté obscur de l’humanité
et une réalité crue: le racisme tue.
Vous avez été heurtés, choqués, révoltés. Et pourtant vous n’avez rien vu ni entendu des images de tortures qui ont circulé sur les réseaux sociaux,
George Floyd, Adama Traoré, Sabri, Mohamed..
Le racisme tue.
Ne pas avoir la bonne couleur de peau tue.Aujourd’hui. Encore.
Et l’indifférence tue.
Le silence tue.
L’insensibilité tue.
Le déni tue.
Lorsque j’étais ado, j’imaginais un monde plus juste, ouvert et tolérant, pour mes enfants, pour vous.
Je croyais naïvement que ça ne pouvait que s’améliorer dans le futur.
Perdu.
Mes chéris, le hasard de votre histoire et de la génétique font que vous êtes blancs.
Votre père est blanc et français.
Oui, vous avez le privilège d’être blancs.
Avec tout ce que cela induit comme avantages.
Votre couleur de peau, votre nom de famille, votre nationalité, votre origine sociale ne seront jamais un obstacle à trouver un travail, à entrer en boîte de nuit ou voyager dans le monde entier.
Dans notre société aujourd’hui,
Votre couleur de peau vous protège et vous garantit des privilèges
Mes enfants, vous avez le privilège d’être blancs.
Vous n’aurez pas à subir les insultes les plus iniques et dévastatrices que peuvent être une remarque, une agression ou même un crime raciste.
« Sale bougnoule, bicot, sale nègre…
Retourne dans ton pays »
Mes enfants, vous avez le privilège d’être blancs.
Vous ne serez jamais humiliés, moqués, et n’auraient pas à souffrir d’un blackface, d’un yellowface ou d’un Arabface lors d’une fête étudiante.
Entendre des cris de singe dans un stade de foot ou l’imitation d’un accent pour faire « rire » lors d’un dîner.
On ne vous traitera pas de racailles.
Ni de beurette
Ni de café au lait
On ne vous déshumanisera pas en considérant vos corps comme exotiques.
Vos corps ne seront jamais fétichisés ou réduits à un fantasme sexuel.
Mes enfants, vous avez le privilège d’être blancs.
Vous ne serez jamais suspectés ou contrôlés, accusés à tort, en raison de votre couleur de peau. Les vigiles, les vendeurs ne vous suivront pas à la trace dans une boutique, ne vous fouilleront pas, ne vous accuseront pas d’avoir volé.
Mes enfants, vous avez le privilège d’être blancs. Vous n’aurez pas à entendre en soirée, des remarques insidieuses et malveillantes concernant vos origines.
Mes enfants, vous avez le privilège d’être blancs.
Certains professeurs ne vous mépriseront pas, ne vous mettrons pas au fond de la classe, ou ne seront pas hautins et malveillants à l’égard de vos parents étrangers.
Certains de vos collègues n’auront pas la bêtise de vous ignorer ou de vous détester
Les médias et journaux ne feront pas une couverture obsessionnelle sur les blancs
Certains soignants et médecins n’éprouveront pas de dégoût à toucher votre corps, ou minimiser votre souffrance physique, en raison du « syndrome méditerranéen »
Et lorsque vous vous présenterez à un entretien d’embauche, vous ne serez pas angoissés par l’idée que votre nom ou votre couleur puissent poser problème.
Lorsque vous dormirez chez des amis pour une soirée pyjama, leurs parents n’insisteront pas sur vos particularités culturelles, ou faire référence aux dangers de votre religion.
Mes enfants, vous avez le privilège d’être blancs.
Vous ne subirez pas de contrôle au faciès, vous n’entendrez pas de remarques racistes de la part des forces de l’ordre , vous ne risquez pas d’être tabassés ou de mourir entre leurs mains en raison de votre couleur de peau, vous ne subirez pas le système policier raciste, sexiste et dangereux qui sévit en France.
Mes enfants, vous avez ce privilège.
Votre arrière-grand mère, arabe et noire, vos grands parents, vos tantes et oncles, nos cousins
Moi votre Maman…
nous n’avons pas pu bénéficier des avantages que je viens de vous citer.
En revanche pas de morts.
Une « chance »
J’aurais voulu les exagérer, les inventer, les imaginer..ces vexations humiliantes, ces oppressions du quotidien.
Mais non. J’en ai honte parfois.
Je n’aime pas être une victime.
Je suis forte. Et fière.
Et pourtant.
Je n’aime pas en parler. Mais nous l’avons vécu.
Et je n’ai pas tout dit. Pas la force.
J’aurais voulu les enfouir et les oublier à jamais.
Mais on n’oublie pas. Jamais.
On travaille, on s’amuse, on danse, on chante, on aime.
Mais on n’oublie pas. Ça reste dans un petit coin de ta tête. J’étais persuadée que ça allait disparaître. Et bien non.
Parfois, mon semblant de « whitepassing » ( certains codes, façon de s’exprimer, ma « couleur de peau ») m’a protégée de certaines situations. « On n’aime pas les Arabes…mais toi t’es pas pareil… » je l’ai entendu maintes fois cette remarque de merde.
Le racisme est injuste car il te met à la marge, de notre société, de notre monde. Il renforce toutes les autres inégalités .
Il te rend vulnérable.
Il est une charge mentale qui te met dans une insécurité morale et physique constante.
Il te fait douter de ton corps, de tes cheveux, de certains traits physiques, de ce que tu renvoies à la « majorité ». De ta légitimité dans l’espace public, en ville, en soirée.
Dans l’intimité
Il te fait douter
Il te ronge même
Mais j’ai appris avec le temps à le surpasser. À l’affronter. À le combattre.
Il a fallu du temps.
Je suis forte. Fière. Puissante. Désormais.
Mais c’est une blessure qui reste à jamais.
Une blessure qui reste à vie.
Une blessure qui est ravivée à chaque événement d’actualité, à chaque propos.
Une blessure qui fait que vous vous interrogez souvent sur votre légitimité à être dans cette société
Parce-que oui, le racisme attaque votre légitimité à être
et à exister.
C’est une colère aussi.
Une colère contre l’injustice.
Et là je pense à toutes les mamans du monde.
En France. Aux États Unis. Et ailleurs.
À ces mamans tourmentées à l’idée que leur enfant puisse croiser un policier.
À ces mamans meurtries à vie d’avoir perdu leur enfant, sans que justice ne soit jamais rendue.
Mes enfants, si vous saviez à quel point je vous aime…rien que l’idée qu’il puisse vous arriver quelque chose me rend malade.
Égoïstement, je me rassure en me disant que vous êtes épargnés.
C’est horrible d’en arriver là. De penser ça.
Et de me dire, mes enfants seront à l’abri.
Et pas les autres?
Oui, j’ai le privilège d’être une maman d’enfants blancs.
Le hasard de mon histoire et de la génétique.
Et je vois toute la différence.
Et c’est tellement injuste.
Je veux que toutes les mamans puissent bénéficier de ce privilège, à savoir que leur enfant, peu importe sa couleur, soit considéré, soit respecté, soit en sécurité.
Mes enfants, vous avez ce privilège.
Je ne vous demande pas d’être coupables d’être blancs.
Ou de me parler de « racisme anti blanc ».
Vous autres qui brandissez ce fake. Stop.
Mes enfants. Ne cédez jamais à cette imposture que certains essayeront de vous mettre dans la tête. Une imposture inventée par le Front National et qui inverse la culpabilité et qui disqualifie les victimes d’office.
La tentative de symétrie est juste impossible et malhonnête.
Historiquement et socialement.
Bordel!!!!
Mes enfants. Ce monde est pourri.
Indignez-vous!
Mes enfants, sortez de votre zone de confort et n’ayez pas peur d’être bousculés. Et de bousculer !
De faire preuve d’empathie, d’humilité et d’altruisme du haut de ce privilège.
À l’égard de l’Autre, de l’opprimé.
Je vous demande mes chéris, d’être conscients et d’agir, dans votre future vie d’adulte aussi.
D’être des alliés mais ne jamais parler à la place des concernés
De ne jamais minimiser les sentiments des victimes.
Si vous saviez à quel point, c’est douloureux de ne pas être entendu, de ne pas être compris.
Parmi elles, vous allez probablement rencontrer des personnes puissantes, inspirantes, mais blessées. En colère.
Soyez à leur écoute. Ne jugez pas.
Écoutez. Faites leur confiance.
Vous êtes blancs.
Il sera de votre devoir de partager tous les avantages liés à ce privilège.
Et ne rien attendre en retour. On ne vous doit rien.
En famille, avec vos amis, vos petits amis, il faudra être sans concession devant les commentaires et attitudes racistes, sexistes, lgbtphobes.
De ne pas céder aux médisances cruelles et xénophobes
Lutter contre toutes les discriminations et user de vos privilèges et de votre position pour lutter contre ce fléau qui tue.
S’indigner et faire en sorte de changer ce système inégalitaire, violent, raciste.
Car tant qu’une partie de vos camarades ne profitent pas de votre liberté d’être, vous ne pourrez jamais l’être totalement.
J’ai confiance en vous.
Vous êtes forts.
Je crois en vous.
En votre génération. Votre intelligence. Votre sensibilité. Votre humanité.
Je suis fière de vous.
Je vous aime
Mes enfants,
Maman
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