Lyrics : Nora Hamadi – Photos : DR

 

Le 22 février 2019, les algériens basculaient dans le « Hirak ». Depuis, chaque vendredi, des centaines de milliers de citoyens, hommes, femmes, enfants, décident de braver la répression et la peur, d’abord pour dire non à une élection présidentielle fantoche et à un cinquième mandat d’Abdelaziz Bouteflika, puis, à un système politique gangrené par la corruption, les inégalités, le clientélisme.

Mustapha Kessous est journaliste et réalisateur. Son documentaire « Algérie mon amour », diffusé ce mardi 26 mai à 20H55 sur France 5, et suivi d’un débat, ouvre la « voix » à cinq jeunes algérien.ne.s engagé.e.s dans ces manifestations.

Son film, tendre, bienveillant, et tout en nuance, donne à entendre des paroles rares, libres, et porteuses d’un espoir fou pour cette génération née après les années noires du terrorisme, et qui aspire à vivre, et non plus à survivre, étouffée par les tabous, l’hypocrisie, la junte au pouvoir, la crise…

Mustapha, tu es binational, français et algérien. Tu connais très bien l’Algérie où tu te rends chaque année ou presque depuis ta naissance. A quel moment as-tu eu envie de raconter cette Algérie du Hirak ?

Un jour, quelqu’un m’a dit : « L’Algérie c’est un pays sans image ». Cette phrase m’a bouleversé. Effectivement, c’est le plus grand pays d’Afrique et de la zone méditerranée, c’est à 50 minutes de Marseille ou de Barcelone. Mais ce pays est tellement fermé qu’on ne sait rien de la vie des algériens, on pense toujours que l’Algérie est bloquée dans les années noires du terrorisme. 

J’y étais en fin d’année 2018, je lisais la presse et on sentait que tout était joué dans cette présidentielle qui s’annonçait comme un boulevard pour un cinquième mandat d’Abdelaziz Bouteflika. Personne n’attendait ce soulèvement. La résignation était totale. Et alors, ce 22 février, cette révolte, ce Hirak a fait bouillir le pays, et c’est là que j’ai découvert l’Algérie. Pourtant, ce n’était pas un pays étranger, mais j’ai vraiment appris à le connaître, j’y ai voyagé partout… Grâce à ce Hirak, les langues se sont déliées et tous les tabous sont tombés.

J’ai eu envie de raconter ce pays magnifique, que même les algériens eux même ne connaissent que peu : la beauté des paysages, la diversité culturelle, l’arabité et la berbérité, les différentes coutumes de l’islam, l’ouverture sur l’occident, et l’énergie des algériens ! C’est un kaléidoscope incroyable, une rencontre des cultures. 

Ce Hirak m’a fait pénétrer dans les gènes, le génome de l’Algérie. 

 

Cette génération de jeunes gens que tu as rencontré pour ce film, pourquoi se sont-ils engagés dans le Hirak ?

Je ne pensais pas qu’ils étaient aussi politiquement mûrs. Pour une partie des dirigeants, les jeunes étaient des « Hmars », des idiots, mais quand tu voyais, il y a plusieurs mois déjà, dans les stades de foot, des slogans anti-régime, c’était un avertissement. 

Il y a clairement une forme de mépris, de maltraitance de cette jeunesse algérienne, et des algériens dans leur ensemble de la part du pouvoir. Quand des gosses de 20 ans disent face caméra qu’ils ont l’impression d’en avoir 60, qu’ils veulent de la liberté, vivre leur jeunesse, arrêter de faire des choses en cachette, on sent qu’ils sont étouffés et surveillés. 

Pour eux, se voir proposer un cinquième mandat d’Abdelaziz Bouteflika a été l’humiliation de trop. Ce président, lourdement handicapé, impotent, dans son cadre photo, il a 4 fois l’âge de ces jeunes, qui n’ont connu que lui ! Il faut dire que l’arrivée de la 4G, et de Facebook a fait voler en éclat beaucoup de schémas. Les jeunes se sont connectés et se sont rendus compte qu’ils vivaient les mêmes choses d’un bout à l’autre du pays. Ils ne se connaissaient pas et se pensaient en bloc monolithique. L’avènement des réseaux sociaux a tissé des liens, et cela a apporté de l’aspérité à cette jeunesse. Cette dimension a clairement échappé au régime, qui n’a jamais su répondre qu’en coupant internet les vendredis de manifestation ! 

 

Ton film donne à entendre une parole rare, sur la politique, l’amour, la sexualité. Comment expliquer que ces tabous aient pu sauter ?

On a beaucoup travaillé en amont et ils étaient en confiance. Ils avaient envie de parler malgré les risques qu’ils savent courir. Ce film raconte l’Algérie vu d’en bas et dans les yeux. Ils ont envie de crier au monde : « je vais vous raconter ce qu’on vit parce que personne n’a idée de ce qu’on vit et on ne connait pas cette jeunesse algérienne. Écoutez-nous maintenant ! On ne peut pas ne plus nous écouter ». C’est vrai qu’on ne s’est jamais vraiment attardé à sonder ce qu’ils ont sur le cœur.

Malgré la répression, ils veulent dire leur volonté de vivre librement, de vivre tout court. D’ailleurs, malgré les croyances, leur but n’est pas de quitter l’Algérie pour la France ou le Canada. Leur aspiration n’est pas de vivre comme les occidentaux, mais clairement d’inventer une vie libre, de se construire un avenir en Algérie. Ils font preuve de patriotisme et d’amour, et ces paroles qu’on donne à entendre dans le film sont avant tout une déclaration d’amour pour leur pays.

Tu as réussi à mettre des images, des voix sur ce pays. Etait ce important au regard de ta double culture ?

J’ai toujours bien vécu ma double appartenance. Alors ce film, c’est mon regard sur l’Algérie, sans misérabilisme, pas « miskina ». Je la vois belle et pleine d’espoir. Il est clair que c’est un pays maltraité médiatiquement parce que la presse internationale n’est pas autorisée à y travailler, et la presse locale est empêchée par une répression farouche des journalistes. En Algérie, un journaliste reste toujours suspect, mais j’étais là pour montrer les choses, une réalité, un instantané de ces mois de 2019/2020.

J’essaye toujours d’apporter une parole différente dans mes films. Depuis « Français d’origine contrôlé » à « France 98 », à mon documentaire sur les violences policières, je sonde l’intime de cette parole, et à chaque fois, je me dis que je vais faire un truc différent et finalement, je reviens à ces paroles… Mais là, l’opportunité fut de parler de l’Algérie, de raconter la grande histoire par ses acteurs et par leur trajectoire. Ce n’est pas un film d’expert, parce que généralement, ils parlent à la place de ceux qui font l’histoire. Qui sont ceux qui font parler les jeunes algériens ? Ces jeunes sont arrêtés par les forces de l’ordre dès qu’ils s’expriment sur les réseaux sociaux. L’idée était de créer un espace qui n’existe pas.

Clairement, il faudra construire 43 millions de cellules si on veut voler cette parole et cette révolution… Dans les manifestations, on peut lire : « nous sommes les enfants d’Amirouche et il n’y aura pas de marche arrière ». Le pouvoir a essayé de réprimer ce mouvement par la peur, mais les gens sont plus que jamais motivés. Les algériens ont mis huit ans à mettre les Français dehors après 130 ans de colonisation, alors cette soif de liberté et d’indépendance est inscrite en nous, et elle ne peut pas être éteinte. Dans ce film, j’ai préféré montrer l’arbre qui pousse plutôt que celui qui tombe en faisant du bruit. J’ai voulu montrer cette forêt en devenir. 

 « Un jour, la parole reviendra au peuple, même si la nuit semble longue, le jour et le soleil finiront par se lever » 

Hocine Ait Ahmed

 

« Algérie mon amour » sera diffusé le mardi 26 mai à 20H55 sur France 5, et suivi d’un débat dans « Le Monde en face », présenté par Marina Carrere d’Encausse.

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