Lyrics Many Yem
Tous les curieux et les amoureux de l’Asie du sud-est peuvent découvrir en ce moment à Paris et jusqu’au 27 mai, le premier grand festival sur la culture khmère. A cette occasion, Fumigène mag a rencontré Jean-Baptiste Phou qui en est le directeur artistique.
C’est dans le hall de la Philharmonie de Paris que JB nous accueille. Le sourire aux lèvres, l’air légèrement préoccupé, il prend tout de même un instant pour nous avouer que c’est la course. La répétition du concert « Bangsokol, un requiem pour le Cambodge » commence. Rithy Panh, Sophy Him, des figures colossales de l’art khmer sont aussi présentes.
Le jeune homme de 37 ans a visiblement de la bouteille. Pressé mais avec calme, grâce et bonne humeur, il dirige d’une main de maître son équipe.
C’est le Cambodian Living Art, pour qui tu travailles en tant que directeur, qui est à l’initiative de ce festival, peux-tu nous en dire un peu plus sur cette ONG?
Au départ, la mission de cette ONG était, après la période des khmers rouges, de retrouver les maîtres encore vivants, principalement dans les disciplines du théâtre, de la musique et de la danse, pour faire en sorte que le patrimoine ne disparaisse pas. Ensuite, le principe a évolué pour faire en sorte d’avoir plusieurs programmes qui permettent aux artistes de se former, de s’exprimer et de créer des spectacles ou des productions de plus grande ampleur comme « Cambodge d’hier à aujourd’hui ».
C’est donc le 1er grand festival en France pour échanger sur la culture khmère. On a tendance à parler du Cambodge en évoquant le drame du génocide mais avec cette programmation on a l’impression qu’il y a une réelle envie de passer à autre chose, des choses plus positives. Quelle était l’intention première en préparant ce festival ici et en travaillant avec des artistes de là-bas ?
L’intention principale c’était de donner une plateforme pour les artistes cambodgiens, en leur donnant la possibilité de s’exprimer et faire entendre leur voix à l’international. De dire que voilà, 40 ans après les khmers rouges on est dans une dynamique de créativité et surtout de voir ce que les jeunes ont à dire. 60% de la population a moins de 30 ans. On avait envie de donner la parole à ces jeunes et de les entendre à travers le cinéma, la peinture, la musique ou la danse.
On a fait ce festival en France parce qu’il y a une diaspora cambodgienne importante ici, afin de permettre à cette communauté de renouer, pour certains, avec cette culture que beaucoup ont laissée dans les années 70 avec un souvenir pas très positif ; et pour la jeune génération qui ne connait pas forcément le pays d’origine de leurs parents, d’avoir un lien avec ce pays à travers la culture et les arts.
A quel moment tu t’es dit, ça y est c’est bon on est prêt à partager une autre image du Cambodge ?
Il s’agit pas simplement de dire on passe à autre chose et on oublie le reste. C’est d’en parler différemment, ce n’est plus être dans le partage du trauma direct de facon très émotionnelle. C’est en faire un objet artistique et aussi pouvoir engager un dialogue.
Aujourd’hui on est mûr pour le faire parce qu’on est une génération qui n’a pas vécu cette période, on a un recul qui permet de ne pas avoir ce truc trop frontal qui fait qu’on ne peut pas en parler. Cette génération dont moi, Mathieu Pheng, Davy Chou, Helene Robert et d’autres qu’on verra lors de la conférence sur les jeunes de la 2e génération, on se pose la question : Comment on fait pour transformer ça en objet artistique ?
Alors que le pays se développe de plus en plus avec l’émergence des artistes et de la culture, il reste malgré tout beaucoup de pauvreté et le mot loisir n’existe pas vraiment chez les paysans. Est-ce qu’il y a des choses qui on été mises en place pour ceux qui ont difficilement accès à cette culture ?
Chez CLA on soutient justement les jeunes artistes par des bourses ou parfois on commande des spectacles qu’on programme. La plupart sont proposés gratuitement pour permettre à la population, qui n’a pas forcément l’habitude, de se rendre facilement à ce genre de présentations.
Lorsqu’il y a un billet d’entrée c’est avec un tarif assez bas de l’ordre de 2 dollars. Pour aussi habituer les gens à se dire que c’est un travail, que ça a une valeur. On veut faire prendre conscience que pour les artistes ce n’est pas de l’amusement, c’est aussi un métier.
On travaille en plus sur un programme pilote avec le Ministère de l’Education, afin que les jeunes lycéens aient accès à la culture. Nous, ça nous paraît normal, parce qu’on apprend la flûte ou le dessin à l’école, au Cambodge c’est pas le cas, il n’y a pas d’Art. Commencer à habituer les jeunes à avoir une pratique artistique ne serait-ce que récréative, un éveil. En fait, on essaie vraiment de planter une graine !
Il y a eu une extinction quasi totale de la culture pendant la période khmère rouge. Depuis, il y a eu un bond énorme avec un travail de mémoire. Est-ce que tu penses qu’ils ont envie de retouver ce qu’ils ont perdu ou est-ce qu’il s’agit d’un renouveau ?
Il y a un espèce de romantisme sur le passé, l’âge d’or du rock, du ciné, de l’architecture, on en parle souvent. Les années 60, ça représente ce mythe du c’était mieux avant ! Et beaucoup sont dans cette mouvance là.
D’autres disent que c’est dommage que les Cambodgiens se tournent vers d’autres cultures. Pour moi c’est normal, la diversité, la modernité ont aussi des choses intéressantes à nous apporter. Le fait d’aller voir les autres cultures, de prendre d’autres influences, je pense que ça peut aussi apporter à la diversité, à la richesse du pays.
En tant qu’artiste, est-ce que tu arrives à te sentir pleinement libre en travaillant au Cambodge ? Ou est-ce que ce sont tes voyages hors du pays qui te permettent d’avoir ce plein espace de liberté ?
Je me suis toujours senti libre, où que je sois. Il y a un système un peu plus rigide qu’en France au niveau des productions mais ça ne veut pas dire qu’on n’a pas de liberté. On a un cadre mais à travers ce cadre là, on joue différemment avec les règles. C’est ce que j’essaie d’insuffler aux jeunes qu’on accompagne, de trouver leur liberté dans ce cadre. Par exemple dans la pièce de théâtre « Cambodge me voici », en français j’utilise le mot corruption, au Cambodge je l’ai transformé en « pourboire », j’ai dû prendre des précautions mais le fond reste le même.
Tu es quelqu’un d’engagé, qui se refuse aussi de jouer des rôles clichés de l’asiatique, est ce que tu considères l’expression de ton art comme du militantisme ?
Je pense que tout art est politique, parce qu’on porte un regard sur soi, sur ce monde, sur la société. Mais je me considère pas comme un « artiviste ».
Pour moi, dire qu’on se sert de l’art pour passer un message, c’est imposer une vision de son œuvre et ça je me le refuse. Si je fais bien mon travail, je n’ai pas besoin d’expliquer aux gens ce qu’ils doivent comprendre, l’oeuvre va parler d’elle-même. Ce qui est beau et magique pour moi c’est que les gens en font ce qu’ils veulent.
S’il y avait, quelque chose que tu pourrais changer en un claquement de doigts, ce serait quoi?
Je pense à la jeunesse au Cambodge, faire en sorte que les Cambodgiens aient plus de curiosité. Je constate que très peu de personnes lisent. Mais c’est aussi une des conséquences de l’après khmers rouges : les gens étaient plus dans une démarche de survie. Il faudrait aller vers une démarche d’auto-amélioration, de curiosité et d’ouverture.
Plus d’informations sur le site du festival Cambodge, d’hier à aujourd’hui qui se termine le 27 mai à Lognes (77)