Lyrics Mathilde Boudon Lamraoui et Peggy Derder – Photo Maxwell Aurélien James – Illustration Blachette

 

Fumigène Mag a assisté aux Etats généraux de lutte contre la grossophobie organisés par le collectif Gras politique. Libération de la parole, organisation, actions de terrain : récit d’une lutte contre les discriminations.

 

 

 

Si la grossophobie n’est pas encore entrée dans le dictionnaire, elle existe bel et bien. Le terme désigne une oppression spécifique subie par les personnes grosses et les discriminations qui en découlent. Elle s’exprime dans tous les aspects de la vie quotidienne : en famille, dans les relations sentimentales, par des transports en commun et équipements inadaptés, dans le milieu médical avec la difficulté pour les gros-se-s d’être pris-e-s en charge et ce, sans réflexion déplacée ; par la discrimination à l’embauche. Ainsi, selon des chiffres cités par Gras politique, 33% des chômeurs et chômeuses déclarent avoir souffert de discrimination à l’embauche sur des critères grossophobes, alors qu’une étude anglaise de 2016 prouve que les femmes obèses se voient proposer des salaires inférieurs à des personnes au poids normé. La reconnaissance de la grossophobie et la sensibilisation à ces formes de discrimination est donc le premier enjeu. D’autant que comme l’affirme Daria Marx, co-fondatrice du collectif Gras politique : « tout le monde, personnes grosses ou non, est concerné. Même une personne qui fait du 42 ou du 44 peut intégrer les normes imposées par la grossophobie et le bodyshaming ». Certaines personnes souffrent en effet d’être grosses dans leur tête. C’est pourquoi Gras politique souhaite à la fois se réapproprier le terme gros et accepte en son sein des personnes grosses et des personnes qui ne le sont pas. « On ne propose pas une balance avant d’adhérer à Gras politique ! » nous précise-t-on.

 

 

Il faut dire que la lutte contre la grossophobie est par définition intersectionnelle. Elle croise les questions du sexisme – les femmes grosses étant encore plus discriminées que les hommes gros – , du racisme – les racisé-e-s sont encore plus discriminées lorsqu’ils sont en surpoids -, de l’orientation sexuelle pour les LGBTQ, de la lutte des classes. Une personne en témoigne : « Dans les classes sociales aisées, on observe une recrudescence de l’anorexie et avoir un enfant gros est véritablement vécu comme un déclassement. Être gros-se c’est aussi une question de dominant-e / dominé-e ». 

La surreprésentation des femmes dans les espaces de lutte contre la grossophobie illustre le sexisme sous-jacent à cette forme de discrimination. Le rapport de domination qu’entretiennent les hommes hétérosexuels aux femmes grosses, illustre celui de l’hétéronormativité. Le premier rapport de force revendiqué par le collectif est alors féministe et queer. La grossophobie est donc vécue comme une discrimination institutionnelle qui doit être combattue par des stratégies qui permettront de s’assumer en milieu hostile. C’est ce que propose Gras Politique en organisant des activités de prise de confiance et de réconciliation avec son corps (yoga, piscine, ateliers).

 

 

Néanmoins, lutter contre la grossophobie est loin d’être évident pour les personnes concernées : « On ne lutte pas et on ne s’affirme pas en tant que gros-se. On ne se définit pas comme appartenant à une communauté. On a du mal à témoigner des discriminations subies. Car généralement on se sent coupable d’être gros-se ». La force de la culpabilisation est telle que même entre personnes grosses, on note parfois un terrible manque de bienveillance.  Cette culpabilisation, en renvoyant à la responsabilité individuelle (les fameux : « tu n’as qu’à te bouger », « c’est de ta faute, tu n’as qu’à moins manger »), rend très difficile la construction d’un espace collectif qui lutte contre la grossophobie.

 

 

C’est pourquoi Gras politique tient à créer des groupes de parole, sensibiliser la sphère médiatique qui est la première à véhiculer nombre de clichés et intervient auprès des jeunes en particulier comme c’est le cas avec les maisons des lycéens ou la maison des jeunes de Belleville, à Paris. Les militant.e.s cherchent alors à proposer de nouvelles perspectives de représentation pour les jeunes. Un important chantier est également en cours avec la commission nationale des droits de l’Homme sur la question des violences médicales. Autant d’actions concrètes qui cherchent à mettre en évidence le dysfonctionnement d’une pensée. « En France, ça fait 30 ans qu’on nous parle de mesures anti-obésité. Or, la population française n’a jamais été aussi grosse » affirme une membre du collectif. 

Si les quartiers populaires ne sont pas spécifiquement visés, pour éviter tout effet d’assignation, les sollicitations de la part des structures des quartiers sont fortes. 

 

Eva, co-fondatrice de Gras Politique

 

Cette étudiante infirmière se présente comme militante féministe et queer avant tout. « 100% des membres de Gras Politique sont issues de la communauté LGBTQ ». Elle se remémore la création du groupe un été, dans un jardin de Bretagne avec Daria Marx : « en tant que militantes, on se sentait frustrées qu’un collectif qui lutte contre les attaques grossophobes n’existe pas. » D’origine méditerranéenne, Eva nous raconte le rapport affectif à la nourriture entretenu par son éducation. « Je suis d’origine espagnole et mes parents et grands-parents ont connu les restrictions de la guerre. Durant mon enfance, ma mère était heureuse qu’on mange bien et ravie que je me resserve à table mais elle culpabilisait dès qu’elle se rappelait les conseils médicaux. En fait ses démonstrations d’amour étaient freinées par des injonctions médicales. »  Selon Eva, un glissement est en train de s’opérer vers une tendance hygiéniste. « Les pays méditerranéens qui traditionnellement valorisent les femmes voluptueuses sont en train de devenir les pays du régime méditerranéen qui fait perdre du poids.  Depuis 15 ans, les propos médiatiques sont rongés par ce discours. » Avec le collectif, elle milite contre cette tendance lors des interventions qu’elle fait auprès des jeunes : « les jeunes filles en particulier sont très réceptives. » Gras Politique assume donc un rôle de sensibilisation et d’éducation populaire auprès des jeunes et ne compte pas s’arrêter là. « Notre prochain défi sera de créer des contenus pédagogiques, spécifiquement à destination des jeunes. »

 

Olivier est un des rares hommes présents aux Etats généraux de lutte contre la grossophobie. « Les femmes sont les premières engagées car elles sont les premières discriminées ». Olivier s’est pourtant impliqué d’emblée auprès de Gras politique, lancé en 2016, notamment par ses talents de graphiste. C’est la question des représentations des gros-se-s qui lui tient à cœur. Et les nouvelles formes de représentations par l’art ou par la blogosphère l’intéressent particulièrement. Il alerte notamment sur la récupération par le capitalisme, du bloguing grande taille et l’émergence de nouvelles normes imposées pour les personnes gros-se-s en termes de look, de maquillage, d’une nouvelle esthétique « plus size ». Au prétexte de lutter contre les clichés, on crée de nouveaux clichés et des injonctions en direction des personnes gros-se-s. Pourtant les représentations et l’esthétique peuvent être des armes de lutte. « Porter des rayures pour un-e gros-se, alors que tout le monde le déconseille, aussi futile que ça puisse paraître, est aussi un acte politique ! ».

 

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